Le marketing authentique : des imperfections pour répondre à la quête du vrai

Depuis quelques années, les imperfections font parties du paysage publicitaire. Parmi les campagne référentes en la matière: Intermarché et ses « fruits/légumes moches », et la désormais célèbre campagne intégrée Meetic « Il y a forcément quelqu’un qui aime vos imperfections ». Je note que ce ne sont pas 2 marques dont le rôle sociétal est anecdotique, ou qui s’adressent à des niches dont les pratiques pourraient être en marge : il s’agit de la grande distribution et du marché de la rencontre (avec 18M de Français célibataires).

De manière plus générale, le « naturel » ou le « vrai » est une tendance de fond dans les attentes des consommateurs : 72% des Français pensent que les entreprises et les marques ne font pas assez preuve d’authenticité (sondage Opinion Way). Il est donc normal que les marques (en tout cas les plus « user centric » d’entre-elles), préemptent le terrain du vrai en faisant évoluer leur offre et leur marketing. Cela fait plus d’une décennie que le secteur du food (restauration et agroalimentaire) s’est lancé dans une démarche « d’assainissement » de ses pratiques pour rassurer un public de plus en plus préoccupé par les scandales sanitaires à répétition : vache folle, poulet à la dioxine ou cheval dans les lasagnes… et malheureusement, on se doute que ce n’est pas fini. Ma solution ? Revenir aux pratiques naturelles, utiliser des aliments sains, ne pas tenter de dompter la nature mais composer avec elle. C’est exactement la démarche dans laquelle s’est lancé Fleury Michon avec sa campagne Venez vérifier et vu le succès de celle-ci, on s’attend à ce qu’elle fasse de nombreux petits…

Le vrai dans le fond et maintenant dans la forme

Mais depuis peu, une autre forme de « vrai » s’immisce dans les stratégies des marques et semble également trouver son public. En plus de s’attaquer à la composition des produits, le vrai se décline maintenant dans le marketing en revendiquant une place dans l’espace médiatique. En témoigne la campagne « Fruits moches » (Intermarché), jugée championne de l’innovation publicitaire par le grand public sur des critères d’attractivité, de pertinence et de nouveauté. La campagne consiste à proposer et promouvoir des fruits et légumes « difformes » ou en tout cas sortant des gabarits habituellement utilisés dans la distribution, pour officiellement « lutter contre le gaspillage alimentaire ». Coup compte triple pour la marque qui génère au passage sympathie, modernité.

Au même moment, le n°1 de la rencontre, secoué par l’arrivé de services beaucoup plus spontanés et accessibles (mais aussi artificiels) comme Tinder & Happn, fait évoluer sa copie publicitaire en lançant un véritable hymne aux imperfections. La campagne paneuropéenne #LoveYourImperfections fait donc l’apologie du petit défaut, du truc qu’on n’assume pas chez soi en signant « si vous n’aimez pas vos imperfections, quelqu’un les aimera pour vous ». Dans un monde où le superficiel occupe une place bien trop centrale, il est intéressant qu’un des acteurs historiques du marché de la rencontre prenne une telle position. Même si les Meetic, Adopte & co ont largement joué leur rôle dans la transformation de la rencontre en vulgaire acte de consommation, cette sublimation de l’imperfection humaine dessine peut-être les règles d’une nouvelle ère de la rencontre. Des rencontres basées sur le « vrai », sur le quotidien, sur les données comportementales plutôt que sur la subjectivité (et les best pictures) de chacun. Les créateurs d’algorithme savent maintenant vers où coder.

Bémol marketing tout de même sur cette campagne en termes de cohérence de marque. La contemporanéité de cette campagne avec le lancement de la fonction Shuffle (qui permet de transformer sa recherche sur Meetic en expérience « Tinder like » ) plonge la marque dans une dichotomie dangereuse. Sans preuve(s) justifiant son discours, Meetic risque de jouer le jeu d’un futur concurrent voire de subir la défiance des utilisateurs du service qui se retrouveront déçus sans disposer de fonctionnalités permettant la valorisation de ces fameuses imperfections. Mais Meetic a également implémenté une check list d’imperfections dans la constitution d’un profil, le data courroux ne saurait se faire attendre…

Mais en quoi est-ce utile de communiquer sur du vrai ?

Revenons-en à notre sujet : le marketing utile. Comment le vrai peut-il rendre service au consommateur ou à la société ? Comment le fait de revenir aux vraies expériences peut-il changer notre monde en bien ?

Tout d’abord, nous sommes face à un réel enjeu « sanitaire ». En changeant les normes fixées par la nature sans expliquer ce que cela impliquait, les industriels (dans le cas des aliments) et les médias (dans celui des êtres humains) ont généré quantité de phénomènes plus ou moins sérieux :

  • la standardisation des aliments a entraîné l’appauvrissement de certaines variétés, la course à l’hyper-productivité et avec elle le développement des pesticides, des OGM et des monocultures, sans parler du sacrifice du goût au profit de l’attractivité. Résultat près de 80% de nos chères petites têtes blondes ne savent pas à quoi ressemble un poireau, une courgette ou une betterave.
  • le culte de la perfection chez l’Homme a engendré l’existence d’un programme comme « Relooking Extrême » ! Et blague à part a contribué à la normalisation de phénomènes comme l’anorexie, le blanchiment de la peau chez certaines populations, les opérations visant à allonger la taille du corps pour faciliter l’ascension sociale des chinoises ou plus globalement l’institutionnalisation de la femme objet. Rien que ça (et la liste est longue)

Il est donc utile de rattraper le coup et de rendre le vrai désirable à nouveau, non ? Puisque les pouvoirs publics n’assurent pas cette fonction, les marques et médias peuvent et doivent jouer un rôle dans ce retour du vrai. Après avoir investi des sommes astronomiques pendant des décennies pour créer une société de la perfection, il est temps pour les marques de faire leur mea culpa, d’assumer les échecs qui découlent de cette vision et de proposer des solutions pour aider les consommateurs dans leur quête de sens. D’ailleurs, des marques comme Dove ont créé de véritables séismes dans l’univers de la féminité en prônant le naturel… preuve en est que l’artificiel est devenu la norme.

De la nouvelle définition de la « responsabilité » ?

Certes, il est aujourd’hui moins facile de vendre une tomate cabossée qu’une tomate ronde. Mais si on a réussi, à force de lourds investissements marketing, à faire croire aux mangeurs de tomates que les tomates sont toujours rondes et rouge passion, il ne parait pas impossible de leur expliquer que les tomates aussi peuvent avoir une sale gueule… et que ça ne les rend pas moins bonnes pour autant. Grâce au digital qui permet d’étirer et de multiplier les temps de narration et d’exposition à une marque, il n’a jamais été aussi simple pour elles d’être pédagogues auprès des consommateurs. Expliquer l’origine des produits lors de l’acte d’achat, éditer un guide d’informations sur la composition de ses produits, ou carrément modifier la composition de ses produits quand certains ingrédients ne sont plus « responsables », les marques ont des moyens considérables de changer nos perceptions et nos comportements. Est-ce dans leur intérêt ? Si leur intérêt est de durer, je dirais oui. A l’heure où la notion de confiance devient une valeur économique de poids (on parle quand même de trust economy), les marques doivent investir sur des actions visant à (re)développer cette confiance, et ce de manière durable.

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